La coentreprise (joint-venture) ou le contrat de partenariat

Au cabinet, il arrive fréquemment qu’une entreprise nous consulte parce qu’elle désire s’associer avec une ou plusieurs autres entreprises dans le but de réaliser un projet commun. Beaucoup de gens connaissent le joint venture, le nom anglais de la coentreprise, mais peu connaissent ses implications pratiques. Plusieurs entrepreneurs, aussi, veulent s’associer pour des projets avec d’autres entreprises, mais ne savent tout simplement pas comment s’y prendre.

Une coentreprise, également appelée une entreprise commune, entreprise en participation ou joint venture (mot anglais régulièrement utilisé en français), est un accord passé entre deux ou plusieurs entreprises qui acceptent de poursuivre ensemble un but précis pour une durée limitée.

Premier pas vers une association plus durable, la coentreprise peut être un outil très intéressant pour tout type d’entreprise. Qu’il s’agisse de la création d’un événement par différents acteurs, d’une offre de services clé en main pour des clients incluant différents partenaires ou tout simplement de référencements de clientèle dans des secteurs d’activité complémentaires, le contrat de coentreprise est utile.

Il est également très utile lorsqu’on songe à s’associer avec une autre entreprise mais qu’on désire s’assurer au préalable que la vision à long terme et la façon de travailler de cette entreprise sont les mêmes que les nôtres. Dans ce cas, on commence par la coentreprise avant de songer à acheter l’autre entreprise ou à fusionner les deux entreprises en une seule.

Ce contrat est très utile dans un contexte de croissance. C’est pourquoi nous verrons les principales clauses et les pièges à éviter en lien avec lui. Vous verrez qu’à partir de cette base, plusieurs projets peuvent être réalisés en coentreprise.

  • Objet de l’entente

Dans un premier temps, il est essentiel de définir l’objet de l’entente, soit le but de s’associer ensemble, le projet qu’on désire réaliser. L’objet doit être suffisamment précis pour ne pas porter à interprétation ou laisser place à des ambiguïtés.

  • L’apport de chaque partie

Comme dans chaque entente, l’apport des parties l’une envers l’autre doit être clairement défini. Aussi, comme l’objet du contrat est de réaliser un projet en collaboration, il est important de bien départager les tâches et responsabilités, et de prévoir un échéancier des travaux en lien avec les rôles de chacun.

Pour chaque tâche ou responsabilité, il y a lieu de déterminer si elle est effectuée par l’une des parties ou si elle est sous sa supervision immédiate. Il y a lieu aussi de mentionner si ces tâches seront rémunérées directement ou si la rémunération sera prise à même le partage des bénéfices du projet. Si une partie peut sous-traiter une portion des travaux, il y a lieu de l’indiquer, et de préciser si rémunération il y a pour ce sous-traitant.

Mon conseil

Il est préférable d’effectuer une véritable analyse de tous les besoins que requiert le projet: volet financier, marketing, ressources humaines, services clients, administration, etc. Ensuite, pour chaque volet, on devrait dresser une liste de toutes les tâches prévisibles en lien avec le projet. Il sera alors plus facile d’attribuer les tâches sous la responsabilité ou la supervision de l’une ou l’autre des parties au contrat.

Il ne faut pas négliger de prévoir si une partie est responsable de détenir les licences ou les permis en lien avec le projet ainsi que les assurances requises.

N’ayez pas peur de quantifier le temps que chacune des parties devra consacrer au projet. Il faut se rappeler qu’on est dans le contexte d’une association temporaire, où il est possible que les parties collaborent ensemble pour la première fois. Il est mieux d’agir avec prudence dans l’établissement des responsabilités de chacun.

  • Responsabilité et indemnisation

En lien avec les apports de chacun, il y a lieu de prévoir la responsabilité de chaque partie pour la portion des services qu’elle rend en lien avec le projet. Il est d’autant plus important de prévoir cette responsabilité si une partie sous-traite une portion des travaux. En effet, qui sera responsable si les travaux ne sont pas faits correctement? Est-ce que ce sera la partie ayant sous-traité cette portion? Si vous faites affaire avec des sous-traitants, soyez le plus clair possible quant aux implications que peut avoir cette délégation de tâches.

On peut prévoir une clause d’indemnisation afin que la partie responsable d’un préjudice ou d’un déficit en lien avec le projet ou encore responsable d’un défaut au contrat soit tenue d’indemniser son partenaire.

  • Administration du projet

Plus il y a d’intervenants dans la coentreprise, plus il peut être pertinent de nommer des administrateurs qui auront pour mission de gérer le projet et de prendre toutes les décisions requises pour son bon déroulement. On appelle parfois ces administrateurs les gérants de projet.

Mon conseil

Selon l’importance et la durée du projet, il est possible de procéder à l’ouverture d’un compte de banque distinct pour le projet. Cela permet d’avoir un portrait clair et complet des liquidités en lien avec le projet.

  • Approbation des dépenses

Il est important de déterminer si chacune des parties peut engager des dépenses en lien avec le projet ou si seulement l’une d’entre elles le peut. Il peut être prudent d’établir un budget pour la réalisation du projet, que chaque partie devra approuver préalablement. Il est également possible de prévoir qu’au-delà d’un certain montant, une approbation préalable est nécessaire.

  • Partage des revenus et des pertes

Selon le paiement d’honoraires ou non en cours de projet, selon le niveau d’implication de chaque partie, il y a lieu de convenir des modalités relatives au partage des revenus. Parfois, une seule partie investit les sommes requises au bon déroulement du projet. Puisque c’est cette partie qui prend les risques financiers, il est possible qu’elle ait droit à un pourcentage supplémentaire des profits en lien avec le projet. Certains détermineront uniquement que les parties défraient leurs honoraires et que le solde est divisé en parts égales entre les parties; d’autres se partageront uniquement les profits sans pourvoir au paiement de quelque rémunération préalable entre les parties. Puisque tout est possible, il y a lieu d’être clair quant au partage des revenus.

Les parties doivent également établir dans quelle proportion chaque partie assume les pertes et déficits afférents au projet, de même que les modalités d’injection des sommes requises, le cas échéant.

  • Reddition de compte et modalités de paiement

Une fois le projet terminé, une des parties doit-elle rendre compte de sa gestion ou de sa portion des travaux? Doit-on rédiger un bilan financier final en lien avec le projet? Il est important de clarifier les attentes des parties à cet égard.

Généralement, après cette reddition de compte ou suivant la fin du projet, il est temps de diviser les revenus et de remettre les sommes aux différents partenaires. Comme dans tout bon contrat, les modalités de paiement devraient être bien détaillées. Si des paiements de fournisseurs doivent être faits à la fin du projet, il ne faut pas les négliger. Certains préfèrent à cet effet conserver des sommes le temps de s’assurer d’avoir pourvu à tous les paiements et d’avoir obtenu les quittances des intervenants, si requis.

·                    Durée

Puisque le contrat de partenariat vise un projet précis, il peut être pertinent de prévoir que l’entente prend fin une fois le projet terminé. Si, par exemple, vous aviez prévu que vos partenaires pouvaient utiliser votre nom, votre logo ou encore faire des représentations en votre nom, indiquer une durée au contrat permet d’éviter qu’un partenaire ne continue ces pratiques et cet usage après la fin du projet.

·                    Résiliation

Vu le contexte de la coentreprise, où l’on collabore souvent pour la première fois avec certains partenaires, il n’est pas rare d’indiquer, comme premier cas de résiliation, le consentement des parties. Ainsi, même si aucune partie n’est en défaut en vertu du contrat, les parties ne désirant plus poursuivre cette association peuvent mettre fin à l’entente. Aussi, si la situation tourne mal et que finalement l’association ne se passe pas comme prévu, il y a lieu de prévoir des cas de défaut où une partie pourra forcer la résiliation du contrat.

Les cas de défaut les plus courants sont :

  • si une partie fait défaut de respecter ses engagements, dont le défaut d’effectuer un paiement, le défaut d’effectuer ses tâches et responsabilités en lien avec le projet ou le défaut de respecter l’échéancier fixé ;
  • si elle commet un geste ou fait preuve d’un comportement préjudiciable au projet ;
  • si elle fait une proposition ou une cession de ses biens au profit de ses créanciers en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (Canada) ou de toute autre loi similaire, ou si une ordonnance de séquestre ou toute ordonnance similaire est rendue contre elle ;
  • si une partie effectue un changement de contrôle.

Il y a également lieu de prévoir les conséquences de la résiliation. On répond notamment aux questions suivantes :

  • Les parties doivent-elles se restituer les sommes qu’elles ont reçues? Les investissements injectés dans le projet seront-ils remboursés?
  • Qui continue à s’occuper du projet?
  • Les sommes reçues dans le futur en lien avec le projet seront-elles divisées entre les parties?
  • La partie en défaut devra-t-elle remettre des sommes à titre de dommages et intérêts?
  • La partie qui cesse d’œuvrer au projet doit-elle remettre des documents, du matériel ou des informations en lien avec le projet?

 

Exemple

Ghislain procède avec Émilie à la création d’une coentreprise visant la création d’une plateforme permettant de prédire l’avenir des usagers. Émilie se charge de prodiguer les conseils aux usagers tandis que Ghislain s’occupe de la programmation et de la maintenance de la plateforme. Dans le cadre de l’entente, il est convenu que chaque partie sera rémunérée pour son temps. Si le projet va bien, ils procéderont ensemble à la création d’une société par actions.

Or, après plusieurs mois, un conflit de visions et de valeurs survient entre Ghislain et Émilie. Émilie quitte le projet et désire se faire rembourser le temps investi et sa mise de fonds. Ghislain désire quant à lui continuer à opérer la plateforme. Comme le contrat prévoit cette situation et les modalités visant la fin de leur entente, le tout se règle à l’amiable.

 

  • Propriété intellectuelle et usage des noms et des logos

Les droits de propriété intellectuelle désignent les grandes catégories suivantes : les droits d’auteur, les marques de commerce, les dessins industriels, les secrets commerciaux ainsi que les brevets.

Dans le cadre d’un contrat de partenariat, on précise généralement que les éléments suivants font partie des droits de propriété intellectuelle: les noms commerciaux, les logos ou sigles ou leurs équivalents, le concept, les méthodologies utilisées, toute invention, idée, amélioration, mise à niveau, modification, mise à jour, ouvrage, écrit, logiciel, code source, plateforme web utilisés, tout document de système et tout autre matériel susceptible de droit d’auteur et/ou de brevet. La définition doit être adaptée à votre situation.

Un des éléments à préciser par la suite est si l’une ou l’autre des parties a l’autorisation d’utiliser le nom, le logo ou l’image de marque de l’autre partie dans le cadre du projet, et il faut s’entendre sur les modalités entourant cet usage. En autorisant l’usage de son image de marque, son propriétaire consent une licence d’utilisation de sa marque de commerce.

Exemple

Vous créez un événement sportif avec votre partenaire qui exploite la marque de commerce Expert. Sur vos affiches, vous utilisez le nom et le logo Expert et vous faites preuve d’originalité en utilisant des photos ludiques et drôles pour faire la promotion de l’événement. Pour que le logo Expert ressorte bien sur les affiches, vous modifiez sa couleur pour qu’il apparaisse en blanc. Dans ce cas, assurez-vous que Expert a autorisé: 1) l’usage de son logo; 2) la modification de son logo (changement de couleur); et 3) le contexte d’utilisation du logo (images ludiques).

Dans le cadre du contrat, il y a lieu de déterminer à qui appartiendront les droits de propriété intellectuelle créés ou développés dans le cadre du projet. Si vous développez dans le cadre de la collaboration un concept unique dont vous désirez demeurer le titulaire des droits de propriété intellectuelle, la clause de propriété intellectuelle visera à éviter que l’un de vos partenaires ne puisse copier ou réutiliser ces nouveaux services ou ce nouveau concept sans votre participation.

 

Exemple

Suite à la création de votre événement sportif conjointement avec Expert, vous désirez pouvoir recréer l’événement, mais sans le partenaire.

 

Sous la loupe

Une fois qu’on a déterminé à qui appartiendront les droits, vous devez inscrire une cession de droits en faveur de ce bénéficiaire dans l’entente pour qu’il puisse être le détenteur unique des droits de propriété intellectuelle créés et développés dans le cadre de la coentreprise. Les droits de propriété intellectuelle peuvent également appartenir aux deux parties.

 

  • Statut des parties

Dans le contrat de coentreprise, on précise généralement que les parties sont des entités indépendantes l’une de l’autre et que le contrat n’a pas pour effet de créer une entreprise ou un lien de subordination entre les parties. L’objectif de cette clause est, entre autres, de limiter le pouvoir de l’une des parties d’effectuer des représentations et garanties qui lient l’autre partie sans son consentement ou en dehors des paramètres du contrat. L’objet de l’entente est limité au contrat précis et il est important, tant du point de vue légal que fiscal, de tracer une ligne nette entre les partenaires.

 

Exemple

Avec ce type de clause, votre partenaire ne pourra pas effectuer de dépenses qui engagent votre entreprise sans votre accord ou signer en votre nom des ententes qui dépassent le cadre de l’entente. Il ne pourra pas non plus donner des garanties sur des produits vendus au-delà de ce que vous consentez.

  • Confidentialité

Si, dans le cadre du projet, vous divulguez des renseignements confidentiels en lien avec votre entreprise, il peut être pertinent de prévoir un engagement de vos partenaires à garder ces renseignements confidentiels. Cet engagement peut aussi être mutuel: ainsi, chaque partenaire s’engage à ne pas divulguer les renseignements reçus de l’autre partie.

Il y a aussi lieu d’exiger la destruction ou la remise de tout document contenant des informations confidentielles à la fin du projet. On évite ainsi que ces documents ne se retrouvent entre les mains d’un tiers qui n’aurait pas, lui, signé d’engagement de confidentialité.

 

Mon conseil

N’hésitez pas à conclure un engagement de confidentialité (aussi appelé NDA par référence à l’anglais non disclosure agreement) dès le début de vos discussions avec le partenaire si ces discussions impliquent que vous lui transmettiez des informations confidentielles à ce stade préliminaire.

  • Non-concurrence et non-sollicitation

Si vous développez un nouveau service ou un nouveau concept dans le cadre de la coentreprise et que vous désirez que les partenaires collaborent de façon exclusive sur ce type de projet ou de service, vous avez tout intérêt à prévoir une clause de non-concurrence. Ainsi, votre partenaire ne pourra développer un projet concurrent à celui que vous développez de façon conjointe, et ce, sur un territoire donné et pour une durée précise.

La non-sollicitation visant vos employés pourrait également être très pertinente si des membres de votre équipe ont travaillé sur le projet. On veut éviter de cette façon que votre partenaire ne sollicite ou n’embauche un membre de votre équipe pour travailler dans son entreprise.

 

Conclusion

Simple ou complexe, la coentreprise est très intéressante lorsque deux ou plusieurs partenaires désirent collaborer ensemble sur un nouveau projet, sans connaître immédiatement la viabilité de ce projet. Plutôt que de procéder immédiatement à la création d’une entreprise détenue par les partenaires, on rédige un contrat de coentreprise. Je vois le contrat de coentreprise comme une entente permettant de gérer une petite entreprise entre les partenaires. Un piège, par contre, serait de ne pas rédiger de contrat et d’y aller avec la bonne volonté de chacun. On ne connaît pas nécessairement les méthodes de travail de ses partenaires et puisqu’il s’agit pratiquement d’une entreprise parmi les entreprises, plusieurs modalités doivent être incluses dans ce contrat.

L’entente de coentreprise est un excellent outil pour assurer une bonne entente entre les parties et garantir le succès du projet créé en collaboration. Elle permet d’établir les balises de votre partenariat et vous évite de devoir procéder à la création d’une nouvelle entreprise entre les partenaires uniquement pour les fins d’un projet d’une durée déterminée.

Si, une fois le projet réalisé, vous pensez qu’un partenariat à long terme pourrait se créer, il y aura lieu de considérer la possibilité de fusionner les entreprises, d’acquérir l’entreprise de votre partenaire ou encore de créer une nouvelle entité détenue par les différents partenaires. Bref, des solutions à long terme pourraient être envisagées par la suite. Le contrat de coentreprise est définitivement une belle première étape avant la fusion de deux entreprises. On apprend à se connaître, à travailler ensemble avant de décider de la suite.

Communiquez avec nous pour toute question, il nous fera plaisir de vous éclairer!

 

Me Sylvie Bougie, 

Vigi services juridiques

418 476-2885 poste 101

sbougie@vigiquebec.com

 


 

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